lundi 24 août 2009

« “Sauver” l’université ? Quelques leçons théoriques et lignes tactiques tirées de l’échec de la grève du printemps 2009 » par Emmanuel Barot


Depuis le tournant du millénaire, l’université française a été le lieu, dans sa spécificité républicaine ouverte aux classes populaires, d’un compromis temporaire entre des logiques croissantes de réorganisation et de gestion comptables, et la préservation relative, dans le double champ de la pédagogie et de la recherche, de l’autonomie caractéristique de l’université post-1968. Ce compromis, ici ou là, s’est traduit par une variété de tiraillements qui bon an mal an, cependant, n’avaient pas encore produit de crise majeure [1]. L’abcès a été crevé au printemps, avec en son cœur la dissociation programmée de l’enseignement et de la recherche dont l’intrication statutaire est un principe traditionnel de l’identité universitaire. Cette dissociation n’est pas le tout de la crise, mais l’a concentrée, et témoigne du virage pris par l’« incorporation croissante de la science au Capital », selon la formule de Marx : comme l’atteste la place dorénavant conquise par les nouvelles hiérarchies et les nouvelles valeurs croisées de la communication, du business et du management, dans l’espace-temps symbolique même des enseignants-chercheurs (EC), ce compromis est en fin de droit.

Menée tambour battant au premier trimestre selon les canons de la LRU votée à l’été 2007, cette logique de double marchandisation des savoirs et de leurs producteurs-transmetteurs (les EC), s’est incarnée à l’automne dans des produits dérivés [2] qui ont le mis le feu aux poudres. Les refus progressifs de sacrifier sans mot dire aux injonctions gouvernementales relayées par les présidences universitaires ont trouvé assez vite une double bannière commune, symbolique, dont la généralité est justement l’un des problèmes : puisque « Le Savoir n’est pas une marchandise ! » il faut « sauver l’Université ». La grève universitaire lancée début février 2009 s’est soldée par un échec cinglant et total, et un dur retour à l’ordre organisé autour d’examens aux modalités revues et corrigées, pressions professionnelles, politiques et répressions policières à l’appui. Pourtant, et même si la nature et l’ampleur de cette « mobilisation » ont été très hétérogènes au niveau national, un mot d’ordre terminal a néanmoins scandé transversalement cet échec : la grève est officiellement « suspendue » jusqu’à la rentrée prochaine, et non arrêtée à proprement parler. Cette « suspension » n’augure de rien en particulier : autant des tensions et des crises vont ici ou là nécessairement advenir, autant rien ne garantit une contestation d’ampleur comparable à ce qui a été expérimenté au printemps. Mais il faut être prêt même à l’improbable, et pour cela être certain que cette double bannière est la bonne. (Lire la suite)

[1] Exemple parmi d’autres, les grèves étudiantes au moment du LMD, et l’attentisme majoritaire des enseignants à ce moment là.

[2] La mastérisation professionnalisante de la préparation aux concours de l’enseignement primaire et secondaire, et le décret modificatif du statut des EC, dans la continuité des dispositifs du plan « Réussite en Licence » et comme levier des nouvelles maquettes générales de Licence et Master, ont été les catalyseurs de l’explosion. Les accords Kouchner signés en décembre 2008 avec le Vatican sur les équivalences de diplômes de L, M et D ont rajouté une couche, puisqu’ils constituent l’attaque la plus nette et la plus symbolique du monopole d’État laïc sur la délivrance des diplômes, tout en constituant un constituant supplémentaire de la baisse officielle des exigences intellectuelles associées à cette délivrance.

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